Interview : l’interopérabilité vue par GIREVE

Avec plusieurs centaines de réseaux de recharge différents en Europe, la capacité de s’y charger facilement est vitale pour les conducteurs de véhicules électriques. L’interopérabilité est réglementée en France à travers le décret du 12 janvier 2017, valant transposition de la directive européenne 2014/84. Elle s’impose progressivement à travers l’Europe avec des modalités différentes selon les régions et la maturité des usages. Jean-Marc Rives, Directeur Général Adjoint et Directeur Technique de GIREVE, expose son point de vue.

Pourquoi parle-t-on tant d’interopérabilité ?

Jean-Marc Rives : « Mobilité électrique » et « interopérabilité » sont indissociables à double titre.

En premier lieu, parce que conduire un véhicule électrique induit des usages bien spécifiques, particulièrement quand il s’agit de faire le plein d’énergie. Véhicules électriques et bornes de recharge sont des équipements communicants, nativement ouverts à l’interopérabilité, bien plus qu’une pompe à essence. Il est possible et intéressant d’interagir à distance lors d’une recharge qui durera plusieurs dizaines de minutes. Cette réalité permet par exemple de déclencher sa recharge d’un clic sur une application mobile ou de l’arrêter de la même façon, et va reléguer aux oubliettes le paiement de son plein d’énergie par carte bancaire.

Ensuite parce qu’un véhicule électrique doit être rechargé régulièrement en utilisant des bornes de charge opérées par de multiples opérateurs différents. Ce qui a été fait dans d’autres secteurs d’activités comme les télécoms, les autoroutes ou le bancaire doit être fait pour créer les conditions de développement de la mobilité électrique. L »interopérabilité, c’est précisément la capacité à accéder en toute simplicité à des équipements ou terminaux opérés par plusieurs opérateurs différents.

On parle ici de l’accès et du paiement du service de recharge mais on le sait, le véhicule électrique est un objet éminemment serviciel. L’interopérabilité doit donc couvrir tout le champ des services électromobiles, de la localisation à la réservation du points de charge, en passant par le pilotage intelligent de celle-ci, bien au-delà du simple paiement.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est GIREVE et la nature de vos services ?

GIREVE a été créée il y a presque 5 ans pour adresser cette question de l’interopérabilité des services de mobilité électrique.

GIREVE est un prestataire de services pour les opérateurs : les uns exploitent des réseaux de bornes que la réglementation leur impose de rendre ouverts et les autres commercialisent des services de mobilité. Ces opérateurs se comptent par centaines en Europe. Ils doivent donc échanger des données et des services pour que l’usager de l’un puisse se charger sur la borne de l’autre. GIREVE gère pour eux cette complexité contractuelle et technique.

Il semble que la tendance actuelle soit plutôt à la désintermédiation, et rende caduque le modèle des plateformes…

Le monde du numérique connait des cycles réguliers de centralisation et de décentralisation. On peut observer que chaque cycle est additif et amène son lot d’innovations et de progrès.

Ainsi, après avoir vu émerger depuis 20 ans des plateformes géantes qui régissent notre quotidien, il semble en effet que la tendance aille, de façon assez naturelle, vers une certaine décentralisation. Mais les plateformes ne vont sans doute pas disparaître de notre paysage… Elles s’adaptent.

Tirant parti des avantages et de l’efficacité des architectures plateforme, ainsi que de la flexibilité et de l’indépendance des flux « peer-to-peer », les architectures maillées se déploient. Elles sont basées sur un mix de liens directs, de plateformes et de lien inter-plateformes. Nous nous plaçons dans cette démarche.

En matière d’interopérabilité des services de mobilité électrique, le débat est toujours vif entre les tenants des échanges directs entre opérateurs et les défenseurs du modèle de plateformes centralisées. Il semble relancé avec l’apparition aux Pays-Bas du standard d’échange de données entre opérateurs OCPI qui permettrait selon ses promoteurs de se passer des plateformes. Qu’en est-il ?

Il faut être attentif à ne pas se laisser entrainer sur de faux débats. Un protocole d’échange de données ne va pas, à lui seul, régler la complexité des échanges contractuels et techniques à établir entre plusieurs dizaines ou centaines d’opérateurs. Dans ce contexte, la question du protocole est finalement assez secondaire. Pour un opérateur, la question centrale est l’équation économique : suis-je capable de gérer moi-même et à coût raisonnable les liens avec des centaines d’opérateurs, là où une plateforme mutualise cette charge pour tous ses clients ? Ensuite quelle que soit l’option retenue, la question du protocole et des services qu’il rend possible se posera.

Le protocole OCPI, comme les travaux de normalisation démarrés récemment sur ce même sujet par l’IEC (sous le code IEC 63119), témoigne avant tout de la vitalité du secteur et de la nécessité pour tous d’établir des standards. Il faut s’en réjouir. Je souligne aussi que GIREVE s’implique dans l’une et l’autre de ces initiatives parce que nous avons une vraie expertise sur le sujet et que nous sommes force de proposition.

Revenons sur OCPI, que permet de faire ce protocole et où en est son développement ?

Le développement d’OCPI est poussé par les opérateurs de mobilité électrique néerlandais. A ce jour, très peu l’ont implémenté complètement et encore moins l’utilisent dans le cadre de leurs échanges. OCPI n’est pas encore arrivé à un niveau de maturité compatible avec une exploitation de masse. Le protocole a encore des limites préjudiciables en termes fonctionnels et en matière de sécurité notamment qu’il faut traiter au plus vite. GIREVE a implémenté OCPI et expérimente son utilisation avec certains opérateurs représentatifs. Cela nous permet d’ores et déjà de lister les évolutions nécessaires à son utilisation opérationnelle. Nous serons en mesure d’ouvrir GIREVE à ce nouveau protocole dans le courant de 2018.

Il faut aussi noter que la gouvernance d’OCPI doit être structurée pour en piloter les évolutions. Comment les opérateurs pourraient-ils baser l’avenir de leurs solutions et la pertinence de leurs investissements sans un bon niveau de pérennité et d’évolutivité ? Les choses avancent et à terme il est probable qu’OCPI couvre les besoins d’interaction entre un opérateur de mobilité et un opérateur de recharge, même s’il reste encore beaucoup de travail. Reste à savoir si les travaux de normalisation lancés au niveau de l’IEC retiendront ce candidat ou un autre…

Au final, plateforme ou pas plateforme ?

Comme je le disais, cette question relève de la réflexion « make or buy » que doit mener chaque opérateur. Faut-il gérer la complexité de l’itinérance des services en interne ou en confier la partie opérationnelle à un acteur spécialisé qui peut proposer une solution efficace et économique puisque mutualisée ? Si les plateformes du marché comme GIREVE arrivent à proposer un service attractif en ne captant qu’une part raisonnable de la chaine de valeur, elles trouveront leur marché.

Pour nourrir cette réflexion, je voudrais souligner l’apport principal d’une plateforme dans la gestion des interactions techniques entre opérateurs. La plateforme permet en effet de passer d’un schéma de connexion entre partenaires avec couplage fort à un schéma avec couplage lâche : une plateforme comme GIREVE encaisse les incidents et isole les hétérogénéités ou incompatibilités de versions logicielles entre partenaires. Elle autorise aux partenaires de mettre en œuvre des protocoles ou des politiques de sécurité différenciées car elle gère l’interface entre eux. Dans une topologie en couplage fort, c’est-à-dire avec des liens directs, vous vous retrouvez en dépendance immédiate des choix de vos partenaires et contraints de vous aligner pour que cela fonctionne. Le couplage fort limite la liberté et l’indépendance des opérateurs et induit une propagation des aléas et incidents.

Selon moi, le couplage lâche des échanges techniques qu’apporte le modèle « plateformes », est une garantie d’indépendance de l’opérateur vis-à-vis de l’écosystème et de diminution des coûts d’opération.

De même, pour un opérateur, l’indépendance et la liberté de contractualiser avec qui il le souhaite et aux conditions qu’il souhaite, nous parait une valeur majeure à défendre. Cette liberté est source de complexité : dans un écosystème où agissent des centaines d’opérateurs, les liens entre eux se comptent en milliers. Chez

GIREVE

, nous pensons que défendre la liberté des opérateurs doit se traduire par la mise à disposition de solutions permettant de traiter et de masquer cette complexité. C’est ce que nous faisons avec notre place de marché en ligne, la Connect-Place, qui permet de conclure en ligne et en quelques clics des accords d’itinérance qui sont bien, et nous y tenons, des contrats bilatéraux. Cet outil permet à tout opérateur de gérer avec aisance ses relations avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème. La Connect-Place a une vocation bien plus large que les seuls services d’itinérance de la recharge et les futurs services de GIREVE en exploiteront également tout le potentiel.

Crédits : GIREVE