Daimler ouvre la voie à une filière européenne de la batterie pour véhicules électriques

Encore peu répandue en Europe, la production de batteries pour véhicules électriques éveille certains intérêts. La récente initiative de Daimler en Allemagne attire les regards, même si d’autres industriels s’engagent ailleurs : une filière française émerge doucement, et les géants mondiaux s’intéressent eux aussi au jeune marché porteur du Vieux Continent.

Bonne nouvelle pour le secteur du véhicule électrique 100% allemand. Même si le pays a réajusté son objectif d’avoir un million de véhicules électriques en circulation en 2020, la filière garde toute sa confiance dans le marché, et semble même être prête à monter en puissance sur des activités jusque là externalisées, comme la production de batteries.

Pour les constructeurs allemands, l’enjeu est double : il ne s’agit pas seulement de maintenir un leadership technique en élargissant leur compétence au stockage d’énergie, mais aussi de réduire le coût de leurs véhicules, et pour cause : les batteries représentent actuellement environ un tiers de leur prix à l’achat neuf. Le chantier est vaste, et pour cause : l’Europe est encore timide sur le sujet, alors même qu’elle est en première ligne sur la production des véhicules électriques.

Ce sont sans doute ces éléments qui expliquent la présence d’Angela Merkel lors du dernier événement organisé par Daimler, propriétaire de la marque Mercedes-Benz. Depuis 2009, le constructeur automobile produit ses propres batteries à travers sa filiale ACCUmotive, mais l’usine de Kamenz, près de Dresde, n’a sorti que 70 000 unités depuis le lancement de la production en 2012.

L’année dernière, un important investissement de 500 millions d’euros avait été annoncé pour quadrupler la production du site grâce à l’emploi de 1 000 personnes supplémentaires et une seconde usine dont la construction – qui doit s’achever mi-2018 – a officiellement débuté cette semaine. Spécialement venue pour l’occasion, Angela Merkel a jugé « important que la mobilité électrique soit prête pour le marché aussi rapidement que possible ».

Peu de projets d’usines de batteries outre-Rhin

Pour s’engager dans cette voie, le gouvernement fédéral a d’ailleurs promis un investissement de 35 millions d’euros dans la recherche sur les batteries ainsi que la création d’un groupe d’expertise sur le sujet ; de quoi ravir les industriels désireux d’accélérer sur les mobilités électriques. En mars, Daimler avait déjà dévoilé son intention de consacrer 10 milliards d’euros à la mise sur le marché de plus de 10 nouveaux modèles propres d’ici 2022. Cette « offensive électrique », ainsi nommée par Dieter Zetsche, PDG de la marque, ne peut qu’être confortée par les engagements de l’État, et la nouvelle usine de Kamenz en sera un « élément important ».

La présence d’Angela Merkel à cet événement n’est cependant pas un hasard : en dehors de Daimler et de BMZ, les Allemands ne se bousculent pas vraiment pour mettre au point des projets d’usines de production de systèmes de stockage d’énergie. Seul le groupe Volkswagen, poussé par le scandale du Dieselgate à revoir à la hausse ses ambitions sur le véhicule électrique, a annoncé son intention d’entamer une réflexion sur le sujet.

Cette frilosité s’explique surtout par le coût que représenterait une telle activité, rentable à la seule condition d’être massive, et donc plus volontiers externalisée : ce sont les industriels asiatiques de la cellule qui fournissent pour l’instant les sites européens d’assemblage des véhicules.

Pour remédier à cette situation, plusieurs constructeurs parmi lesquels les français Renault et Bolloré ont manifesté le souhait de collaborer dans le cadre d’une initiative franco-allemande destinée à favoriser la fabrication de batteries électriques dans l’Union Européenne. Cependant, cette annonce n’a pour l’instant pas été suivie d’effets concrets.

Quelques initiatives d’industrialisation de la production en France

Côté français, quelques entreprises se sont fortement impliquées sur la question, mais le constat général est assez similaire. Dans le plan « Nouvelle France industrielle » dévoilé en 2013, le gouvernement affichait sa volonté de structurer un secteur à cet effet, mais à l’heure actuelle, seuls deux acteurs se distinguent en la matière dans le pays.

Le premier d’entre eux est Saft, spécialisé dans le stockage de l’énergie. À l’automne 2011, l’entreprise avait pourtant mis fin à son partenariat conclu avec l’américain Johnson Controls pour cette activité. En janvier 2013, elle décide cependant de lui racheter l’usine de production de batteries lithium-ion de la région d’Angoulême, qui emploie 90 personnes et dispose d’une capacité de production annuelle de 60 MWh.

L’usine de Poitiers – qui fait de Saft le plus gros employeur privé de la ville avec 600 salariés – devrait quant à elle tourner à plein régime dans les prochains mois : elle doit livrer d’ici à la fin de l’année 532 batteries lithium-ion à Rolls-Royce, qui va équiper le futur plus grand navire d’expédition polaire du Royaume-Uni.

La start-up spécialisée Forsee Power, créé en 2011 et basée à Moissy-Cramayel en Seine-et-Marne, est elle aussi en plein essor. Témoin du besoin en infrastructure de stockage d’énergie, le nombre d’employés de cette jeune structure a bondi de 60% depuis deux ans : ils sont aujourd’hui 320, parmi lesquels 100 travaillent entre autres à la production de batteries destinés aux bus électriques.

Plus médiatisé, le groupe Bolloré développe lui-même les batteries utilisées dans la Bluecar, véhicule notamment utilisé dans le système d’autopartage francilien Autolib’. Sa filiale BlueSolutions, bien qu’associée à PSA ou Renault pour la production de milliers de batteries chaque année, ne base toutefois sa production que sur le lithium-métal-polymère, une technologie de moins en prisée par les constructeurs car elle n’évite pas la déperdition d’énergie.

Quand les géants de l’automobile s’intéressent au Vieux Continent

Encore peu nombreuses, les initiatives franco-allemandes ont le mérite d’exister. Elles ne sont néanmoins pas les seules : les géants venus d’Amérique ou d’Asie veulent eux aussi s’implanter et c’est sans doute sur eux qu’il va falloir compter pour voir la cellule made-in Europe se massifier. Leur ambition parfois vieille de plusieurs années de s’implanter dans l’un des marchés mondiaux les plus porteurs ne fait que s’affirmer.

Pionnier de la méga-usine dont la capacité de production s’exprime en GWh, Tesla entend bien franchir l’Atlantique et placer en Europe au-moins l’une de ses quatre futures gigafactories, et cette promesse de 4,5 milliards d’euros d’investissement et de 10 000 emplois directs a encouragé plusieurs pays à se porter candidats. Les Pays-Bas ont ainsi mis en avant le fait que la ville de Tillburg accueillait déjà une usine d’assemblage du constructeur. Également intéressée, la France avait aussi proposé par l’intermédiaire de l’ancienne Ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, d’accueillir d’Elon Musk sur le site de la centrale nucléaire de Fessenheim qui doit prochainement cesser son activité. Enfin, la candidature portugaise a toutes ses chances, logique de compétitivité oblige : lithium disponible sur place – le pays en est le sixième producteur mondial -, salaires raisonnables et façade littorale développée.

Point de projet gigantesque en revanche pour Nissan, mais une certaine avance sur son concurrent états-unien : en 2013, lors de l’inauguration à Sunderland au Royaume-Uni du troisième site mondial d’assemblage de la Leaf, le constructeur japonais avait annoncé que le pack-batterie lithium-ion qui alimenterait le véhicule serait également produit sur place. Par ailleurs, bousculée par la récente annonce de l’arrivée de Tesla sur le vieux continent, la marque a décidé de diversifier ses activités et a annoncé début mai la création sur place d’une filière de recyclage des batteries des véhicules. L’objectif est de pouvoir commercialiser d’ici peu des systèmes de stockage d’énergie renouvelable domestique à destination des particuliers.

D’autres industriels des hautes technologies ont décidé de se positionner sur le secteur : l’été dernier, les sud-coréens Samsung et LG actaient leur implantation en Europe, le premier en Hongrie avec un investissement de 325 millions d’euros dans la construction d’une usine de 50 000 batteries par an, le second en Pologne avec un immense site – le 2ème mondial du groupe – de 229 000 unités à l’année.

Certes porté par la hausse notable des ventes de véhicules électriques, le secteur européen de la batterie tire aussi son dynamisme de l’intérêt porté par les grands constructeurs mondiaux en quête d’une production compétitive, et enfin des nouveaux usagers liés à la transition énergétique, comme le stockage local d’énergie.

Illustration : elektrek.co