Francis Vuibert « Les innovations arrivent toujours plus rapidement que prévu »

Le Préfet Francis Vuibert, Délégué ministériel au développement territorial de l’électromobilité, a clôturé la Conférence Institutionnelle organisée par l’Avere-France le 10 janvier dernier. Itinérance, norme ISO 15118, développement de la recharge à très haute puissance : pour nous, il revient sur l’année 2017 et les enjeux à venir pour faciliter la recharge des véhicules électriques.

Avere-France : Que doit-on en retenir de l’année 2017 pour l’électromobilité ?

Francis Vuibert : La mobilité électrique aura connu de nouvelles avancées significatives au cours de l’année 2017 : certains pays, dont la France, se sont déjà fixé l’objectif de mettre un terme à la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre. Il est désormais avéré que tous les constructeurs automobiles ont ou vont avoir à court terme au moins un véhicule électrique à leur catalogue et, de surcroît, les véhicules électriques qui arrivent désormais sur le marché ont au moins 300 km d’autonomie réelle.

Pour ce qui concerne plus particulièrement la France, je rappelle que le décret relatif aux infrastructures de recharge pour véhicules électriques est sorti il y a tout juste un an. Par ailleurs, quelques données chiffrées méritent d’être soulignées : en 2017, le parc des véhicules électriques a progressé de 30 % et celui de l’ensemble des véhicules rechargeables, y compris les hybrides rechargeables, de 34,5 %.

Par ailleurs, 6 428 points de recharge supplémentaires ont été ouverts au public, ce qui représente une augmentation de 40,5 % par rapport à 2016, grâce notamment aux réseaux territoriaux cofinancés par l’État.

L’année 2017 aura été aussi l’occasion pour un certain nombre de conducteurs de VE d’expérimenter l’itinérance de la recharge sur différents réseaux en n’étant détenteurs que d’un seul badge.

Enfin, les assises de la mobilité lancées par le Gouvernement, ont permis de faire émerger un certain nombre de propositions relatives au développement de l’électromobilité.

L’année dernière, 6 400 nouveaux points de charge accessibles au public ont été déployés à travers le pays. Maintenant que l’appel à projet de l’ADEME est terminé, doit-on s’attendre à un ralentissement du nombre d’installations ?

La procédure d’appel à projets lancée par l’ADEME est close mais les travaux continuent ! Il reste encore environ 10 000 nouveaux points de recharge à installer pour finaliser les réseaux territoriaux portés par les collectivités territoriales. On sait par ailleurs que certaines enseignes commerciales se sont engagées dans le développement de l’offre d’infrastructures de recharge sur leurs sites; cela représente plusieurs centaines de nouvelles stations à venir.

80 % des conducteurs de véhicules électriques se rechargent à domicile ou au travail

On estime qu’il y a environ 58 000 points de recharge privés installés dans les habitations et 79 000 dans les entreprises. Quels sont les enjeux pour la recharge des particuliers ?

Il faut préciser que les points de recharge installés en entreprise servent principalement pour les flottes et je rappelle que La Poste dispose du plus grand parc mondial d’utilitaires légers électriques.

Pour ce qui concerne les particuliers, il est avéré qu’au moins 80 % des utilisateurs actuels d’un véhicule électrique se rechargent essentiellement à domicile ou, dans une bien moindre mesure, sur le lieu de travail. Cela veut dire concrètement que la très grande majorité de particuliers utilisant un VE disposent d’une résidence (maison individuelle ou immeuble collectif) dotée d’une solution de stationnement.

Or, 10,4 millions de foyers (soit 37 %) ne disposent pas d’un emplacement de stationnement à domicile, que ce soit en zone urbaine ou en zone rurale et quel que soit le type d’habitat.

A défaut d’une solution de recharge de proximité, ces personnes hésiteront toujours à s’orienter vers l’électromobilité surtout si elles n’ont pas, de surcroît, la possibilité de recharger leur véhicule sur le lieu de travail.

Par ailleurs, comme cela a été relevé lors des assises de la mobilité, le droit à la prise dans les immeubles collectifs d’habitation existe depuis 2011 mais il est difficile à mettre en œuvre.

Sur ces sujets parfaitement identifiés, une analyse technique et juridique préalable est nécessaire pour avancer des solutions.

Qu’en est-il des solutions de recharge sur les grands axes routiers ?

Avec la mise sur le marché de véhicules généralistes disposant d’une autonomie d’au moins 300 km, la circulation des véhicules électriques sur le réseau routier national, qui était marginale jusqu’au printemps dernier, va s’intensifier. J’en veux pour preuve la fréquentation des stations rapides cet été sur les autoroutes et le taux de recharge en itinérance qui a pu atteindre 30 % sur certains réseaux

Dès lors, se pose la question de l’équipement des autoroutes et des routes nationales en solutions de recharge adaptée.

A l’heure actuelle 180 stations de recharge rapide sont installées sur les aires de service des autoroutes et environ 110 couvrent le réseau des routes nationales. Il s’agit de bornes de 50 kW, parfaitement adaptées à la recharge de la majorité des véhicules actuellement en circulation.

L’arrivée prochaine de véhicules équipés de batteries plus puissantes engendrera un besoin de recharge à au moins 100 kW. Il ne s’agit pas, comme on a pu le lire ici ou là d’une recharge ultra rapide, puisque le temps de recharge à 80 % sera toujours de l’ordre de 15 à 20 minutes.

Nous préférons donc utiliser le terme de recharge à très haute puissance, notamment pour ne pas induire les utilisateurs en erreur.

Quatre projets européens, soutenus par la commission européenne, et un projet porté un groupe pétrolier ont été rendus publics. Avec la mise en œuvre de ces projets, le réseau routier national devrait être doté progressivement de près de 300 stations de recharge rapide supplémentaires, capables de délivrer une recharge à 100 ou 150 kW, voire à 350 kW pour les véhicules qui pourront accepter ces puissances mais aussi de fournir une recharge à 50 kW pour le parc de véhicules actuellement en circulation.

Ainsi notre réseau national d’infrastructures de recharge dont la finalité est d’offrir sur l’ensemble du territoire différentes puissances de charge adaptées à chaque type d’usage et pour tous les véhicules rechargeables, existants et à venir, poursuit son évolution et son adaptation en fonction des avancées technologiques.

Offrir de nouveaux services aux usagers grâce à la norme 15118

Quelles évolutions techniques peut-on attendre prochainement ?

Est-il besoin de rappeler que dans le domaine de l’électromobilité, les innovations arrivent toujours plus rapidement que prévu ! Il serait donc difficile d’en faire une liste exhaustive. Au-delà de l’augmentation des puissances de recharge que nous venons d’évoquer, je retiendrai les travaux en cours sur la norme ISO 15118.

La croissance du parc de véhicules électriques et du nombre de bornes ouvertes au public amène une réflexion sur la sécurisation de l’échange des données entre le véhicule et la borne.

Il existe déjà une norme, ISO 15118, qui définit les protocoles de communication entre la borne et le véhicule et qui est déjà utilisée pour la recharge en courant continu. Une nouvelle édition, qui couvre à la fois recharge AC et DC est en cours de rédaction et devrait être disponible à la fin de cette année.

Elle permettra de disposer de communications numériques et sécurisées entre le véhicule et la borne et ouvrira la possibilité d’offrir de nouveaux services à l’usager, comme la reconnaissance automatique du véhicule, l’indication du besoin de charge ou la réservation à distance d’une borne, par exemple.

Les fonctionnalités rendues possibles par cette norme qui seront implantées dans les véhicules comme dans les bornes devraient être disponibles en 2019/2020.

Il est important de préciser que les véhicules équipés des fonctionnalités découlant de la norme 15118 pourront se recharger sur une borne qui ne le serait pas et réciproquement, un véhicule non doté de l’applicatif 15118 pourra se recharger sur une borne qui en serait pourvue. Il n’y a donc pas de risque d’obsolescence du parc de véhicules ou du réseau de bornes actuellement en service ni d’obligation de remise à niveau.

Quel bilan faites-vous de la mise en œuvre de l’itinérance de la recharge ?

Il y a encore deux ans, l’itinérance de la recharge était considérée comme une utopie.

Avec l’augmentation de l’autonomie des véhicules, la recharge en itinérance a connu ses premiers développements au cours de l’année 2017.

Ainsi, avec un seul badge on peut désormais se recharger sur un nombre croissant de réseaux d’infrastructures publiques ou privés raccordés à une plateforme d’interopérabilité.

Il s’agit là d’une avancée considérable quand on se souvient des critiques qui étaient émises quant à la nécessité de disposer d’un gros portefeuille pour ranger toutes les cartes donnant accès à toutes les bornes.

Les premiers retours font état de parcours aisé en itinérance à la satisfaction des conducteurs mais également, parfois, de difficultés rencontrées de manière inopinée. Ces difficultés sont identifiées. Elles sont inhérentes au démarrage de tout nouveau dispositif mais elles ne remettent pas en cause le principe même de l’itinérance.

Je sais que les opérateurs d’infrastructures et les opérateurs de mobilité regroupés au sein de l’AFIREV, l’Association Française pour l’Itinérance de la Recharge Électrique des Véhicules, sont mobilisés pour trouver au plus tôt des solutions appropriées.

Une des conditions de réussite de l’itinérance de la recharge réside dans la publication des données concernant l’implantation des bornes de recharge et leurs caractéristiques techniques Ces informations doivent être maintenues à jour et fiabilisées. Je rappelle à cet égard qu’il est de la responsabilité de chaque aménageur de les partager sous licence ouverte sur le site de la plate-forme des données publiques françaises (www.data.gouv.fr) et de les rendre disponibles sur une plate-forme d’interopérabilité.

Crédits : Avere-France et Getty Images